Internet par satellites : du rififi au firmament

Dans l’espace, dans une zone appelée LEO (Low Earth Orbit) située à une distance d’environ 200 à 1.000 km au-dessus de nos têtes, circulent déjà plusieurs centaines, voire milliers, de satellites. Ils sont majoritairement dédiés aux communications et aux observations en tous genres, civiles et militaires.

Mais depuis une petite décennie s’est déclarée une guerre fratricide, une course effrénée entre plusieurs compagnies privées et semi-publiques pour offrir l’internet à haut-débit à l’ensemble des humains, où qu’ils vivent sur le globe. La chose est d’importance, car ce marché, au-delà de l’altruisme et la générosité affichés par ces ambitieux programmes, promet plusieurs milliards de dollars de revenus dans les années à venir.

A ce jour, 17 nouvelles constellations de satellites sont en projet, qui concernent plus de 430.000 satellites en orbite basse (¹). On parle ici de satellites miniaturisés, ou nanosatellites, légers et faciles à lancer par paquets de plusieurs dizaines. Au train où vont les choses, il est permis de se demander comment tout ce petit monde va réussir à cohabiter sans carambolage !

Les deux acteurs les plus avancés dans cette démarche sont Starlink, filiale de SpaceX, toutes deux propulsées par Elon Musk qu’il est inutile de présenter, et OneWeb, compagnie britannique semi-publique bénéficiant du partenariat d’Airbus Industrie et d’un récent mariage avec le géant européen des télécommunications Eutelsat. Mais d’autres acteurs sont en embuscade, tel Amazon de Jeff Bezos ou encore le géant aéronautique Boeing.

La guerre de l’espace

Les patrons d’Amazon et de SpaceX pèsent à eux deux plus de 380 milliards de dollars. Une fortune colossale en grande partie investie dans leurs activités spatiales. Ces deux entreprises ont l’ambition de construire de gigantesques constellations de satellites pour connecter le monde entier à Internet.

SpaceX a reçu l’autorisation de l’autorité américaine, la Federal Communications Commission (FCC), d’envoyer 12.000 satellites et ambitionne, à terme, une escadrille de 42.000 satellites. Amazon, de son côté, a obtenu l’aval de la FCC pour une constellation de 3.236 satellites en orbite terrestre basse via sa filiale Kuiper Systems, qui n’a, à ce jour, encore procédé à aucun lancement.

Cependant, SpaceX a déposé une demande pour placer ses satellites de deuxième génération à une orbite plus basse que prévue (entre 540 et 570 km contre 1.100-1.300 km). Une altitude qui pourrait augmenter les risques de collision et interférer avec les satellites de Kuiper, programmés eux pour voler à 590 km d’altitude. Amazon a donc demandé à la FCC de surseoir à cette demande. Amazon a ainsi communiqué :

Nous avons conçu le système Kuiper pour éviter toute interférence avec Starlink, et SpaceX veut maintenant changer la conception de son système. Ces changements créent non seulement un environnement plus dangereux pour les collisions dans l’espace, mais ils augmentent également le brouillage radio pour les clients ».

La bataille entre les deux géants ne fait qu’illustrer l’engorgement croissant de l’espace. Le développement des nanosatellites et la baisse sensible du prix des lancements ont provoqué ces dernières années une hausse sans précédent du nombre d’objets dans l’espace. Après qu’Amazon ait demandé à la FCC de rejeter la dernière modification apportée par SpaceX à son réseau de satellites Starlink, Elon Musk a souligné la réponse de son entreprise selon laquelle Jeff Bezos est exceptionnellement procédurier. « Les actions en justice contre SpaceX sont en fait son travail à plein temps », a tweeté Elon Musk. Ambiance…!

Les plus avancés

  • STARLINK

Le projet de Elon Musk est actuellement le plus avancé pour toucher le grand public. C’est aussi le projet de l’entreprise financièrement le plus exorbitant pour construire un réseau internet avec une constellation de milliers de satellites interconnectés, dans le but de fournir un internet à haut débit universel. SpaceX a déclaré : « Les utilisateurs peuvent s’attendre à voir des débits de téléchargement entre 100 et 200 Mbps et une latence de 20 ms dans la plupart des endroits ».

Lancé en mai 2021, Starlink est déjà disponible en phase de test dans 45 pays et revendique 700.000 clients fin 2022. L’internet Starlink fixe s’adresse aux personnes vivant dans des zone rurales ou ne disposant pas d’options d’internet par ligne terrestre comme l’ADSL, le câble ou la fibre optique. Starlink propose également une formule d’utilisation mobile pour les véhicules en déplacement (camping car, nautisme), et un service maritime pour les professionnels de la mer. Cependant en ce début d’année 2023 le système est toujours en phase de test, les services et tarifs ne sont pas encore clairement définis, et la couverture loin d’être mondiale.

A mi-février 2023, SpaceX a déjà mis en orbite 3.415 satellites et vise un total de 4.408 satellites pour le programme de première génération SG1. Un second programme SG2 a été approuvé par la FCC pour 7.500 satellites, dont 269 déjà en orbite, qui devrait être complété par 22.488 satellites supplémentaires, en attente d’approbation. La société a détaillé les plans de la prochaine génération de satellites dans les documents fédéraux déposés. Selon elle « les satellites du programme SG2 sont plus lourds et seront un peu plus grands et généreront plus de puissance que les précédents. La constellation SG2 viendra compléter la constellation de première génération déployée actuellement », a écrit SpaceX lors du dépôt. La constellation complète, avec près de 34.400 satellites planifiés, formera l’infrastructure qui permettra à Elon Musk de fournir l’internet à haut débit et des données illimitées aux régions reculées du monde entier.

  • ONEWEB

La société britannique OneWeb, avec laquelle Eutelsat, troisième opérateur mondial de satellites de télécoms, a annoncé la fusion, fournira un accès internet à haut débit mondial, principalement pour des utilisateurs professionnels. Le géant européen du spatial Airbus Industrie a délivré en l’espace de quatre ans 544 satellites sur les 648 prévus pour la première génération OW1. Les premiers modèles, une dizaine d’exemplaires, avaient été fabriqués à Toulouse et le restant a été ensuite produit en série dans une usine en Floride détenue par OneWeb Satellites, joint venture à parité entre OneWeb et Airbus Defence and Space.

Avec le dernier lancement de 48 nouveaux satellites le 10 janvier 2023, près de 85% de la constellation est désormais en orbite, portant le nombre de satellites opérationnels à 544. OneWeb avait également demandé en 2018 l’autorisation à la FCC de déployer 1.260 satellites supplémentaires, qui feront passer le nombre total du projet à 1.980 satellites.

Dès le début 2023, La constellation doit fournir une connectivité à haut débit et à faible latence à un large éventail de secteurs civils et militaires, notamment l’aviation, la marine, les entreprises et le gouvernement. Au cœur de son objectif, OneWeb cherche à apporter la connectivité aux endroits inaccessibles à la fibre optique, et ainsi à combler la fracture numérique, en concurrence directe avec Starlink. Ce qui n’a pas empêché les derniers satellites d’être lancés par des fusées Falcon 9 de SpaceX en 2023. Business is business !

Les retardataires

  • KUIPER

Amazon a annoncé en 2019 son projet d’internet par satellite nommé Kuiper. La société a dévoilé les plans et le fournisseur de lancement des satellites prototypes. L’infrastructure comprendrait des antennes de réception à très faible coût de 30 cm, provenant de ReQuTech en Suède, pouvant supporter jusqu’à 400 Mbps de débit de données. Jeff Bezos prévoit de lancer 3.236 satellites internet en LEO, un système directement concurrent de Starlink.

Amazon a déclaré qu’elle prévoyait d’investir plus de 10 milliards de dollars dans la construction du projet Kuiper, et elle dispose déjà d’une installation de recherche et développement de 20.000 mètres carrés à Redmond, dans l’État de Washington. Le site de Redmond a développé des prototypes et aidé à la production de satellites commerciaux, « mais pour concrétiser notre vision du projet, nous devons opérer à une échelle beaucoup plus grande », a déclaré Amazon. Une nouvelle usine dans la banlieue de Seattle, à Kirkland, est en cours de construction afin de soutenir la fabrication de ses propres satellites du projet Kuiper.

Le géant de la tech ajoute de l'espace à Redmond (WA) pour son opération Projet Kuiper

Le géant de la tech ajoute de l’espace à Redmond (WA) pour son opération Projet Kuiper et investit à Kirkland près de Seattle.

Bien qu’Amazon ait franchi une première étape en matière de matériel pour les antennes dont elle a besoin pour se connecter au réseau, elle n’a pas encore commencé à lancer ses satellites. Les deux premiers prototypes doivent être lancés en ce début d’année 2023. Dans un communiqué, Amazon a expliqué : « Nous utiliserons les résultats de la mission pour finaliser la conception, le déploiement et les plans opérationnels de notre système de satellites commerciaux ».

Il apparaît évident que Bezos a pris du retard sur Starlink, et qu’il perd les meilleures places au firmament ! Il lui faut donc ralentir la marche forcée de son concurrent pour conserver un espace disponible. La société de Bezos a demandé à la FCC de rejeter la demande d’amendement SG2 de SpaceX, affirmant qu’elle viole les règles de la FCC en proposant deux configurations différentes en orbite. L’avocate de la société Kuiper d’Amazon, a écrit le 25 août 2022 :

En laissant presque tous les détails importants non réglés – tels que l’altitude, l’inclinaison, et même le nombre total de satellites – SpaceX n’a pas respecté les règles de la FCC ».

Les objets en orbite vont devoir jouer des coudes pour se faire une place autour de la Terre !

  • BOEING

Le leader US de l’aéronautique Boeing a également obtenu en novembre 2021 le feu vert des autorités américaines pour son projet de constellation avec une première tranche de 147 satellites, destinés à fournir l’internet depuis l’espace. La grande majorité des satellites doit évoluer en orbite dans la tranche basse de la LEO à 156 km d’altitude (²) et 15 autres bien plus haut, en MEO (³) entre environ 27.000 et 44.000 km. Le projet à terme concerne une constellation de 5.841 satellites afin de couvrir la totalité de la planète.

L’entreprise prévoit d’offrir des services de connexion internet à haut débit, en priorité aux américains des zones rurales victimes de la fracture numérique, mais également dans les régions où il est impossible d’accéder à des réseaux de télécommunications fixes. Le groupe a estimé qu’il lui faudrait six ans pour déployer une première partie de son infrastructure spatiale et ouvrir ses premiers services, et autant d’années supplémentaires pour disposer d’une constellation complète couvrant la majeure partie du globe.

Il faut rappeler que Boeing est un constructeur majeur de satellites pour de grands opérateurs comme Inmarsat, SES, Intelsat, Eutelsat, VSAT, et bien d’autres. Malgré les aléas de l’aéronautique civile, la compagnie dispose d’un savoir faire et d’une capacité financière incontestables.

Les ratés

  • GOOGLE LOON

Google X se considère comme une « usine à idées révolutionnaires ». Sur son site Web, on pouvait lire :

Notre mission est d’inventer et de lancer des technologies de pointe qui, nous l’espérons, pourront un jour rendre le monde radicalement meilleur ».

L’un de leurs projets les plus marquants était le projet Loon. Plutôt que d’opter pour une constellation de satellites, coûteuse, complexe à coordonner et nécessitant une grosse infrastructure spécialisée, Google X visait plus bas. L’entreprise prévoyait d’installer une série de montgolfières à énergie solaire dans la haute atmosphère, à la limite de l’espace.

L’objectif était de fournir un accès à l’internet aux plus pauvres du monde, soit le marché le plus inexploité des consommateurs d’internet. Mais l’ouverture de nouveaux marchés pouvait présenter des avantages réels, comme la fourniture de services de téléphonie cellulaire et d’accès à l’internet aux travailleurs humanitaires et aux habitants des zones sinistrées jusqu’à ce que les sources locales soient à nouveau disponibles.

Las, la maison-mère de Google, Alphabet, a définitivement stoppé son programme Loon en janvier 2021. L’entreprise s’est rendu compte que l’opération était économiquement trop incertaine. Plus de sept ans après avoir présenté cet extravagant projet, l’entreprise américaine a compris qu’elle n’allait nulle part. Dans un billet sur son blog publié le 22 janvier 2021, il a donc été décidé d’arrêter le tir. Fin de l’histoire.

  • FACEBOOK ET SES DRONES

Facebook prévoyait de lancer une flotte de drones alimentés par l’énergie solaire, afin de transmettre le Wi-Fi aux populations privées d’Internet. Chaque drone devait couvrir une zone de 100 km de diamètre et voler à une altitude supérieure à 18.200 m. Le premier prototype, l’Aquila, une aile géante de 30 m d’envergure, pesait 454 kg.

Selon le géant des médias sociaux, le drone transmettrait des signaux Wi-Fi au moyen de « communications laser et de systèmes à ondes millimétriques ». Chaque drone pourrait voler pendant trois mois d’affilée. « En plus d’être à la pointe de la technologie, il serait économe en énergie, absorbant les 5.000 watts dont il a besoin grâce au soleil. Ce n’est pas beaucoup d’énergie, l’équivalent de ce qui est nécessaire pour faire fonctionner trois sèche-cheveux ou un micro-ondes haut de gamme ».

Bien que cela ait pu sembler un projet solide, le deuxième vol d’essai en février 2018 ne s’est pas bien déroulé. Le drone a atteint 3.000 pieds (910 m). Mais il n’a tenu que 96 minutes avant de s’écraser au sol. C’était trois fois la durée du premier vol d’essai, qui avait eu lieu en décembre 2017. Malgré cela, dans un billet de blog de juin 2018, Facebook a déclaré ne plus concevoir ni construire ses propres avions et fermer ses installations de Bridgewater.

Et après ?

En ce début d’année qui a vu de nombreux navigateurs autour du globe se précipiter sur les antennes et services Starlink, avec des avis majoritairement dithyrambiques malgré un produit pas vraiment adapté et un service non finalisé, l’avenir semble désormais tracé… dans les étoiles ! Pour paraphraser ce que j’ai écrit dans mon récent Guide Expert chez Voiles & Voiliers :

[…] il est certain que l’accès aux prévisions météo et aux informations de sécurité pour la navigation va devenir, d’ici peu d’années, aussi facile en mer qu’à terre. »

Est-ce à parier qu’on passera plus de temps en mer le nez collé à un écran qu’à contempler les vagues, les nuages, les oiseaux, les dauphins, les levers et couchers de soleil… ? C’est une autre histoire. Dans tous les cas on aura immanquablement le regard dans les étoiles.

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(¹) Tous les chiffres sont issus de l’excellent et exhaustif observatoire de Jonathan McDowell Jonathan’s Space Report.
(²) Pour mémoire la Station Spatiale Internationale (ISS) orbite à une altitude moyenne de 400 km.
(³) MEO : Medium Earth Orbit. Région utilisée par la plupart des constellations de positionnement (voir GNSS dans le Glossaire).
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2 Replies to “Internet par satellites : du rififi au firmament”

  1. Merci Francis pour cette veille technologique. C’est certain que nous aurons de plus en plus de faciliter pour avoir une météo fiable en mer, loin des côtes. On ne doit pas cependant oublier l’intérêt des AIS qui permettront aussi l’échange de données pour des bateaux en proximité. Croiser un cargo pourra être synonyme d’une météo faite de plein de grib tous frais !

  2. Merci encore une fois pour cet article détaillé. Reste à savoir quand le navigateur lambda que je suis pourra sauter ce pas vers les étoiles

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