R-Mode, futur système de positionnement alternatif

Les systèmes mondiaux de navigation par satellite GNSS (Global Navigation Satellite System), sont devenus la principale source de localisation, de navigation et de synchronisation (PNT1) pour les navires et les opérations maritimes. Les GNSS sont utilisés également pour le système d’identification automatique (AIS2). Malheureusement, il est reconnu que les GNSS sont vulnérables aux brouillages et aux interférences, intentionnels ou non, qui peuvent entraîner la perte d’informations de positionnement ou, pire encore, des informations de positionnement erronées.

Les navigateurs ayant un besoin crucial d’informations PNT fiables à tout instant, il est indispensable de disposer de méthodes alternatives et/ou résilientes. Le R-Mode (Ranging Mode) ou mode de télémétrie, qui utilise les signaux radio maritimes existants comme sources de positionnement, représente une de ces solutions.

Le projet R-Mode

Le projet R-Mode Baltic, co-financé par l’Union Européenne, est en cours de développement avancé. Les premières études de faisabilité ont été initiées en Mer Baltique à partir de 2013. Ce projet est devenu un précurseur dans la mise en œuvre d’un système de navigation maritime terrestre, indépendamment du positionnement par satellite. Il doit permettre ainsi d’accroître à terme la sécurité du trafic maritime.

Le projet a réuni des instituts de recherche, des prestataires de services maritimes nationaux et des partenaires industriels. Ils ont poursuivi le développement de la technologie R-Mode et ont vérifié qu’elle représentait une approche appropriée pour la sécurisation de la navigation côtière.

En outre les acteurs du projet ont lancé un processus de normalisation du R-Mode pour les infrastructures maritimes. La première ligne directrice pour le R-Mode sur les très hautes fréquences a été achevée. D’autres lignes directrices, recommandations et normes de performance sont en cours d’élaboration. Le projet a également introduit des prototypes d’appareils R-Mode pour les navires et les sites côtiers.

Le principe du R-Mode

En combinant des signaux DGPS (³) différentiels à moyenne fréquence (MHF) et des signaux AIS à très haute fréquence (VHF), ainsi que les signaux eLoran (4) il est apparu que des positionnements inférieurs à 10 mètres pourraient être atteints. Cependant ces premiers essais ont été limités à des études de stabilité du signal car il n’y avait pas assez d’émetteurs installés pour le positionnement. Malgré l’accroissement des brouillages malveillants des signaux GNSS subis par le trafic maritime, la mise en œuvre des études et tests du projet R-Mode Baltic a été lent, et il a fallu attendre 2020 pour que des tests significatifs soient conduits aux USA dans le cadre du ministère des transports américain (Department of Transportation) avec des prototypes d’émetteurs-récepteurs fixes et mobiles.

Comment ça marche ?

Figure 1 - Positionnement par trilatération des signaux émis

Figure 1 – Positionnement par trilatération des signaux émis

R-Mode utilise les signaux provenant d’émetteurs existants — soit des émetteurs des radiobalises DGPS à moyenne fréquence aux environs de 300 kHz — comme signaux de télémétrie. Si un récepteur peut estimer les portées de trois émetteurs ou plus, une position peut être déterminée par trilatération (voir figure 1). C’est la même technique que celle utilisée à courte distance pour la localisation terrestre avec les antennes des réseaux cellulaires.

Les émetteurs de balises MF sont disponibles dans le monde entier et peuvent être utilisés pour le positionnement à des distances de 150 km ou plus.

Le jeu de signaux MF R-Mode actuel a été conçu pour fonctionner avec les signaux des radiophares MSK (5) existants. Mais il peut également être combiné avec d’autres signaux opportuns tels que eLoran, AIS ou VDES (³) utilisant des fréquences différentes afin d’améliorer la précision et la couverture. Après les tests effectués en 2013 et 2014 en Mer du Nord, la démonstration a été faite quant-à la stabilité et la performance obtenues d’un positionnement à 10 mètres et moins.

Figure 2 - Réseau des balises DGPS utilisées pour les tests en Mer Baltique

Figure 2 – Réseau des balises DGPS utilisées pour les tests en Mer Baltique

Les développements en cours depuis 2020

Le positionnement R-Mode sera basé sur l’estimation de la portée des différents sites d’émission. Une évaluation de la manière dont les sources potentielles d’erreurs affectent les performances et la fiabilité du système en R-Mode permettra d’envisager l’utilisation de méthodes de latéralisation circulaire et hyperbolique pour le positionnement. Sur la base des plates-formes de réception GNSS existantes, deux prototypes de récepteurs et de processeurs avec différents niveaux d’intégration seront conçus. Deux applications en R-Mode seront développées.

D’abord un prototype existant d’unité de traitement des données PNT sera mis à niveau pour prendre en charge l’entrée des données brutes des récepteurs en R-Mode. Cette approche facilite le calcul de la position sur la base des signaux en R-Mode transmis par les radiobalises maritimes et/ou les stations de base AIS. En cas de perte de positionnement GNSS, l’appareil fournira automatiquement une position basée sur le R-Mode. Ensuite une unité pilote portable (PPU) sera équipée d’un module R-Mode. Lorsque le GNSS est disponible, l’unité fonctionne en mode standard. En cas d’échec du positionnement GNSS, elle passe automatiquement en R-Mode pour fournir une position basée sur le R-Mode. L’unité PPU fournira au navigateur des informations sur le mode de positionnement actif par l’intermédiaire de son écran. À la fin du projet, les prototypes seront testés de manière approfondie afin de démontrer la capacité de la technologie R-Mode.

Les contraintes

Le couplage des différents systèmes d’émission de signaux correspondant à différentes fréquences (DGPS, AIS, VDES, eLoran) impose une parfaite synchronisation du temps. Aujourd’hui ce sont les horloges atomiques des satellites GNSS qui fournissent cette synchronisation. C’est justement ce que le système R-Mode est prévu d’éviter, puisqu’il est destiné à servir de système de secours en cas de panne du GNSS ou d’interférence importante des signaux satellitaires. Dans les systèmes de télécommunications terrestres, le transfert du temps et des fréquences utilise les réseaux de fibres optiques. Ce sujet fait l’objet d’études fonctionnelles et de nombreux tests sont en cours.

La normalisation du R-Mode est également de la plus haute importance pour que les administrations maritimes, les autorités portuaires et les autres fournisseurs de services puissent mettre en œuvre un R-Mode transnational harmonisé dans leurs infrastructures. En outre, les fournisseurs d’équipements de navigation en ont besoin pour le développement des appareils mobiles qui utiliseront le R-Mode.

Cette normalisation est donc une condition préalable à la diffusion de la technologie du R-Mode, car les radiobalises maritimes et les stations de base AIS sont conçues pour répondre aux normes, recommandations et règles internationales de l’IALA, de l’IMO, de l’ITU, de la CEI et d’autres organismes. Par conséquent, la mise en œuvre de la technologie R-Mode sur ces stations nécessite la modification — ou au moins l’amendement — des normes internationales existantes. L’équipe du projet communiquera avec divers comités de normalisation et organisations internationales et les encouragera à améliorer et à élargir la portée de la normalisation PNT existante par la mise en œuvre de la technologie R-Mode.

Quel avenir ?

Ce retour technologique aux sources rappellera sans doute aux « vieilles barbiches » les temps héroïques de la goniométrie et du Super Navitech de Technifrance ! Cependant il y a fort à parier que nous ne verrons pas de sitôt en production un récepteur R-Mode adapté à la plaisance disponible chez nos shipchandlers. Par les temps qui courent, même sur nos petits bateaux nous ne sommes hélas pas à l’abri du jamming ou du spoofing sur certaines mers.

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(1) PNT : Positioning, Navigation & Timing (voir le Glossaire)
(2) AIS, la deuxième révolution maritime après le GPS
(³) Voir le Glossaire
(4) eLoran (Enhanced Long Range Navigation) système de positionnement Loran-C avancé, basé sur des émetteurs terrestres.
(5) Minimum Shift Keying = modulation par écart minimal
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