Les fichiers GRIB sont-ils systématiquement optimistes ?

Cette question m’a été régulièrement posée, mais je n’avais jamais souhaité jusqu’à présent donner publiquement mon avis sur le sujet afin de ne froisser personne et de ne surtout pas créer de polémique inutile. Mais à force de le faire au cours de mes formations, pourquoi ne pas m’en exprimer ouvertement ?

Mon opinion, forgée par l’observation et une longue expérience professionnelle dans la navigation de plaisance (¹), est que cette affirmation de l’optimisme systématique des prévisions GRIB concernant la force du vent, qui malheureusement perdure, n’a plus de raison d’être, et ne se vérifie plus dans les faits depuis un certain temps.

Tout d’abord parce que les modèles météo ont fait d’énormes progrès en fiabilité tout au long de ces dernières décennies. Les données atmosphériques et océaniques récoltées se sont considérablement accrues, grâce à la multiplication des satellites spécialisés, à l’accroissement du trafic maritime et aérien, à l’augmentation importante des capteurs de données de toutes sortes. Les modèles de prévisions ont bénéficié de la puissance exponentielle des super-calculateurs et la compétence croissante des prévisionnistes dans le monde (²). Et si les prévisions de force du vent étaient toujours systématiquement optimistes, il paraît évident que cela n’aurait pas échappé aux prévisionnistes, les modèles auraient été depuis longtemps corrigés (³).

Ensuite les vents moyens à 10 mètres prévus dans les GRIB représentent effectivement une moyenne. Et pour toute moyenne statistique il y a des écarts à la moyenne (écarts-types) en plus ou en moins. Les écarts négatifs ayant peu d’importance en ce qui concerne la force du vent, ce sont les écarts positifs qui nous importent. En ce sens, augmenter systématiquement la force du vent des GRIB n’était pas totalement erroné par le passé, bien que le systématisme en soit exagéré. Car l’importance des écarts dépend en grande partie des conditions météo dans lesquelles ont se trouve et sont directement liés à la stabilité (haute pression) ou l’instabilité (basse pression) de la masse d’air en présence. Les écarts seront d’autant plus importants que la masse d’air sera instable. A contrario, il n’y a que peu de corrélation entre la valeur de l’écart et la force du vent moyen.

Pour pallier cette imprécision, depuis quelques années (2012) les modèles GRIB procurent, en plus des prévisions du vent moyen à 10 mètres, celles des risques de rafales (). On obtient dès lors une fourchette raisonnable entre le vent moyen et les vents maximums qu’on est susceptible de rencontrer. Cela s’avère, tous modèles confondus, d’une grande efficacité, surtout dans des situations très perturbées (cellules orageuses, fronts froids et occlus par exemple).

A gauche le dégradé de couleurs représente la vitesse du vent moyen. A droite il représente l'écart entre la vitesse du vent moyen et celle des rafales. Dans le météogramme la courbe du vent moyen est dessinée en bleu clair, celle des rafales en bleu foncé.

A gauche le dégradé de couleurs représente la vitesse du vent moyen. A droite il représente l’écart entre la vitesse du vent moyen et celle des rafales. Dans le météogramme la courbe du vent moyen est dessinée en bleu clair, celle des rafales en bleu foncé.

Dans l’exemple ci-dessus, on constate, à la position de la cible au passage d’un front froid, que la plus grande valeur des écarts vent moyen-rafales n’a pas lieu quand le vent moyen est le plus fort, mais quand il baisse dans sa rotation à l’arrière du front (fenêtre de gauche). La valeur de l’écart est alors du simple au double (fenêtre de droite) : 21 nds à 43 nds.

Pour la même vitesse de vent moyen, l'écart avec avec la vitesse des rafales s'est complètement réduit dans un système stabilisé.

Pour la même vitesse de vent moyen, l’écart avec la vitesse des rafales s’est complètement réduit dans un système stabilisé.

36 heures plus tard, à l’emplacement de la cible, la masse d’air étant beaucoup plus stable, l’écart entre la vitesse du vent moyen, identique à la situation précédente, s’est considérablement réduit (21 nds à 27 nds).

De ce fait, les affirmations encore véhiculées par certains spécialistes reconnus de la météorologie marine, malgré tout le respect que je leur dois, me semblent caduques. Pour ma part, depuis la disponibilité de cette donnée « Rafales », tant en Atlantique qu’en Méditerranée, je me suis presque toujours trouvé en navigation dans la fourchette de ces deux valeurs.

Cependant, en navigation proche des côtes, il faut prendre garde à utiliser un modèle météo à suffisamment haute résolution pour prendre en compte les effets de vent thermique qui peut se combiner fortement au vent synoptique. C’est le cas des brises thermiques, des accélérations par effet venturi au passage de certains caps, des vents catabatiques pouvant générer de fortes rafales, etc. Pour la France, seul le modèle AROME sait prendre en compte ces phénomènes. Mais ce n’est pas pour autant que les valeurs prévisionnelles du vent moyen soient optimistes, voire fausses.

Pour en savoir plus, je vous conseille de regarder (en entier) l’excellente vidéo de Christophe Asselin sur sa chaîne YouTube : Pourquoi est-il si difficile de prévoir les tornades ? (et le temps en général).

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(¹) https://francis-fustier.fr/formations/#expertise
(²) https://www.noaa.gov/stories/weather-prediction-its-math

(³) Voir les évaluations permanentes du CEPMMT.
() https://www.navigation-mac.fr/weather4d-apporte-encore-plus-de-finesse/#rafales

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2 Replies to “Les fichiers GRIB sont-ils systématiquement optimistes ?”

  1. Bonjour,
    Un article excellent (comme d’habitude) et qui cette fois tord le cou aux idées reçues et à de nombreux bruits de pontons.
    Je me suis permis de mettre un lien sur le site de notre club pour en faire profiter nos équipiers.
    Un grand merci.
    Bien cordialement.

  2. Bonjour Francis
    excellent article qui résume et montre bien les qualités des météo.
    J’ajouterai le modèle des Suisses avec en plus de l’intelligence basée sur les évolutions du passé dans ces mêmes conditions actuelles et sur des modèles de calculs dynamiques.
    NEMS (NOAA Environment Modeling System).
    Il se concentre sur l’Europe de l’ouest, avec l’avantage de nous éveiller l’esprit car il est différent des autres. Attention il est spécialisé pour la montagne, donc les influences des brises thermiques ne sont pas forcément bonnes pour la mer .

    Merci Francis

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