Non, il ne s’agit pas des élucubrations catastrophistes d’un collapsologue invétéré, mais d’une très sérieuse étude rapportée par le climatologue Stefan Rahmstorf. J’en donne ici une transcription francisée et librement adaptée.
Les courants chauds qui rejoignent l’Europe sont aujourd’hui appelés par les climatologues AMOC, en français la « Circulation Méridienne Atlantique de Retournement ».
Cette circulation est composée d’eaux chaudes provenant du Golfe du Mexique (Gulf Stream) qui rejoignent ensuite les côtes européennes (Dérive Nord-Atlantique) avant de se refroidir, de bifurquer vers le nord et de plonger en profondeur entre le sud du Groenland et le Labrador.
Par l’effet des masses d’air circulant d’Ouest en Est, en se réchauffant au contact de sa température de surface, l’AMOC joue un rôle régulateur du climat des pays de l’Europe de l’ouest. Cependant, les modélisations actuelles indiquent que l’AMOC pourrait connaître des perturbations entraînant des hivers plus froids et des étés plus caniculaires, dans un contexte de réchauffement moyen de l’atmosphère terrestre soumis à de fortes variations locales.
Le scénario
Une étude récente publiée en février 2024 (¹) par un groupe de scientifiques néerlandais présente une nouvelle avancée en suggérant qu’un signal d’alerte précoce basé sur la physique montre que l’AMOC est sur le point de basculer. L’article est le résultat d’un effort de calcul important, basé sur l’exécution d’un modèle climatique de pointe (²) sur une période modélisée de 4.400 années. Il a fallu 6 mois pour le faire tourner sur 1.024 cœurs au centre national de super-calculateur des Pays-Bas.
Cette étude confirme que l’AMOC a un point de basculement au-delà duquel il s’effondre si l’océan Atlantique Nord est dilué avec de l’eau douce par l’augmentation des précipitations, du ruissellement des rivières et des eaux de fonte glaciaire, ce qui a pour effet de réduire sa salinité et sa densité. Elle confirme, à l’aide de données d’observation, que l’Atlantique Nord se rapproche de ce point de basculement. La question est de savoir à quelle échéance se situe ce point de basculement.
Quelles conséquences ?
La nouvelle étude confirme les craintes exprimées dans le passé selon lesquelles les modèles climatiques ont surestimé systématiquement la stabilité de l’AMOC. En ce qui concerne le transport crucial d’eau douce de l’AMOC dans les modèles, elle souligne que la plupart des modèles sont erronés. Ils ont même inversé le signal de ce diagnostic important, qui détermine si la salinité de l’Atlantique est stabilisée ou déstabilisée, et ce biais de modèle est l’une des principales raisons pour lesquelles le GIEC a jusqu’à présent sous-estimé le risque d’un effondrement de l’AMOC en s’appuyant sur ces modèles climatiques biaisés.
L’étude fournit également des simulations plus détaillées et à plus haute résolution des effets d’un effondrement de l’AMOC sur le climat, bien qu’elles soient considérées isolément et non combinées aux effets du réchauffement planétaire induit par le CO2. Elle montre que l’Europe du Nord, de la Grande-Bretagne à la Scandinavie, subirait des effets dévastateurs, tels qu’un refroidissement des températures hivernales de 10° à 30 °C en l’espace d’un siècle, conduisant à un climat complètement différent en l’espace d’une ou deux décennies, conformément aux données paléoclimatiques connues concernant les changements brusques de la circulation océanique. Elles révèlent en outre des changements majeurs dans les zones de précipitations tropicales. Ces effets d’un effondrement de l’AMOC sont connus depuis longtemps, mais n’avaient pas encore été mis en évidence par un modèle climatique d’une telle qualité.
Dans combien de temps ?
Compte tenu des conséquences, le risque d’effondrement de l’AMOC doit être évité à tout prix. La question n’étant pas de savoir si nous sommes sûrs que cela va se produire, mais de savoir si nous devons exclure ce risque avec une probabilité de 99,9 %. Une fois que nous aurons reçu un signal d’alarme clair, il sera trop tard pour faire quoi que ce soit, compte tenu de l’inertie du système (³).
Ce type d’expérience n’est pas une projection dans l’avenir. Elle vise plutôt à tracer la courbe de stabilité de l’équilibre. Pour tracer la réponse d’équilibre, l’apport d’eau douce doit être augmenté très lentement, ce qui explique que cette expérience a nécessité beaucoup de temps d’ordinateur. Une fois que le point de basculement du modèle a été trouvé de cette manière, il a été utilisé pour identifier les signaux précurseurs qui pourraient nous avertir avant d’atteindre le point de basculement, ce que l’on appelle les « signaux d’alerte précoce ». Les scientifiques se sont ensuite tournés vers les données de réanalyse (produits basés sur des observations) pour vérifier l’existence d’un signal d’alerte précoce. C’est sur la base de ces données qu’ils ont conclu que l’AMOC était « sur le point de basculer ».
Le groupe de chercheurs néerlandais a proposé un nouveau type de signal d’alerte précoce, fondé sur la physique et observable. Il utilise pour diagnostic le transport d’eau douce par l’AMOC à l’entrée de l’Atlantique Sud, à la latitude de la pointe sud de l’Afrique. Il ne propose pas d’estimation d’une période particulière pour l’atteinte du point de basculement, car il faudra davantage d’observations de la circulation océanique à cette latitude pour y parvenir. Mais ils notent au sujet d’une étude récente (⁴) : « La prédiction que le basculement se produira dès le milieu du siècle (2025-2095 avec une fourchette de confiance de 95 %) pourrait être exacte ».
En d’autres termes, ce sont les données d’observation de l’Atlantique Sud qui suggèrent que l’AMOC est en train de basculer. Pas la simulation du modèle, qui n’est là que pour mieux comprendre quels signaux d’alerte précoce fonctionnent, et pourquoi.
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Pour approfondir ce sujet passionnant : un article (en anglais) publié dans la revue Nature en avril 2018.
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(¹) Physics-based early warning signal shows that AMOC is on tipping course
(²) Le modèle CESM avec une résolution horizontale de 1° pour la composante océan/glace de mer et de 2° pour la composante atmosphère/terre
(³) The AMOC: tipping this century, or not?
(⁴) Warning of a forthcoming collapse of the Atlantic meridional overturning circulation
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A creuser, mais depuis le temps que ce sujet revient « par la fenêtre » et vu que cette théorie est loin d’être inepte, je propose de garder un oeil. Malheuresement comme toutes ces théories et ces changements se passent sur un temps lent pour un humain, je veux dire que 2095, dans nos p’tites têtes c’est dans longtemps, on ne s’alarme pas plus que ça. D’ailleurs il ne faut pas s’alarmer, il faut surtout admettre et comprendre. Sans doute faudra t il encore un peu de temps pour que les gens admettent qu’il y une évolution du climat beaucoup trop rapide pour être anodine. Wait and see.
En passant, merci pour votre blog, qui m’a déjà bien renseigner sur des solutions techniques efficaces.
Bonjour,
« élucubrations catastrophistes d’un collapsologue invétéré »
Voilà qui réjouit la vue et l’oreille.
Merci pour ce vocabulaire savoureux